Citoyens partenaires pour la santé mentale

Jean Caron
Rédacteur en chef

La devise de la France « Liberté, Égalité, Fraternité » est un bel exemple à suivre, dans une cohésion citoyenne pour la santé mentale, ce principe est d’ailleurs inscrit dans la Constitution de la République française depuis 1958. Elle provient de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui affirme ceci : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » On a souvent oublié ce principe fondamental dans le domaine de la psychiatrie et du traitement, de ce que cette discipline nomme, les « malades mentaux »
La pauvreté, le stress et la détresse engendrés par des conditions sociales et économiques qui limitent l’inclusion d’une partie importante de la population favorisent l’apparition de comportements qui dévient parfois des normes sociales et qui paraissent manquer de sens, et ce, particulièrement aux yeux de la population qui, elle, s’est bien intégrée et se conforme aux normes prévalentes d’une société. Mais on peut se demander si cela a un sens de se conformer aux normes comportementales sociales prescrites par les mieux nantis d’une société, lorsque ces normes engendrent notre propre exclusion.
Les études épidémiologiques récentes nous montrent des taux de prévalence des troubles mentaux qui varient de 15 à 20 % dans la plupart des pays occidentaux et des rapports de prévalence du simple au double pour les populations pauvres (Caron et Liu, 2010). Ici même à Montréal, dans les quartiers de la Pointe-Saint-Charles et de Saint-Henri, les taux de détresse psychologique élevée dépassent les 50 % dans la population en bas du seuil de faible revenu (Caron, Latimer et Tousignant, 2007).
Un processus de maintien de l’ordre social est apparu pour faire face aux désordres engendrés par les comportements marginaux ou déviants à toutes les époques. Foucault (1972) a bien décrit le processus d’exclusion des fous, ceux qui déraisonnent, ceux qui manquent de sens, ceux qui ne paraissent plus avoir conscience de leurs gestes, dans son traité de l’Histoire de la folie à l’âge classique. Ils étaient interdits d’entrée aux villes, embarqués sur des bateaux et « prisonniers du voyage », puis a succédé l’internement dans les asiles. En fait, à travers l’histoire du traitement par exclusion des « fous », on a oublié le principe « Liberté, Égalité, Fraternité », leur présumé manque de raison leur a fait perdre leur citoyenneté.
Dans les années 1970, un mouvement social important pour la santé mentale citoyenne fait son apparition, dans une période de prospérité économique, il s’agit en France de la psychiatrie de secteur et de la psychothérapie institutionnelle et ailleurs, en Europe et aux États-Unis, de l’antipsychiatrie. Ces mouvements contestataires de la psychiatrie traditionnelle dénoncent l’utilisation de la psychiatrie comme moyen de contrôle social et préconisent l’abandon de l’exclusion et une approche plus humaniste dans le traitement des personnes en détresse, par leur inclusion sociale en tant que citoyens. Notons, entre autres, la contribution de Lucien Bonafé, Jean Oury et François Tosquelles en France, de David Cooper et Ronald Laing en Angleterre, de Franco Basaglia en Italie et de Thomas Szasz aux États-Unis.
Les sociétés sont toujours plus généreuses et ont une vision sociale plus accentuée dans les périodes de prospérité. Ce courant social s’est toutefois progressivement effrité, avec l’arrivée de la récession économique des années 1980 et à la suite de crises économiques successives qui prévalent encore aujourd’hui, pour faire place à une vision beaucoup plus individualiste, où les neurosciences et la psychiatrie biologique ont émergé comme paradigmes et tiennent une place importante dans la conception et le traitement des troubles mentaux.
Il s’ensuit une relation où le spécialiste est le seul à détenir le pouvoir par sa connaissance du traitement approprié pour alléger la souffrance et favoriser la guérison, préconisant le retour à un rétablissement de l’équilibre biologique, mais bien souvent, en ne portant que peu attention aux dimensions sociales en cause, et reléguant le « patient » à un rôle plutôt passif.
Ce numéro thématique de Santé mentale au Québec, Partenariats patients en santé mentale, propose de revenir à une conception plus égalitaire et fraternelle dans les relations patients/soignants. Relations permettant à plusieurs personnes en détresse de retrouver un sens de la dignité et de la citoyenneté. Je laisse le soin à Jean-François Pelletier, rédacteur invité pour ce numéro, de faire la présentation de son contenu. Ce numéro relate des expériences et tentatives citoyennes en santé mentale en provenance de différents coins du monde, du Brésil, de l’Écosse, de la France et du Québec. Elles sauront, je l’espère, vous illustrer un phénomène émergent sur le « patient partenaire ».
Au-delà de la relation thérapeutique, je tiens à réitérer l’importance de la participation citoyenne à la construction de la santé mentale des sociétés. Dans une perspective de santé publique, les plus grands facteurs de risque associés aux maladies physiques et aux troubles mentaux sont la pauvreté et l’exclusion sociale, et les principaux facteurs de protection sont le soutien social et le capital social. En termes de prévention et de promotion de la santé, les moyens d’action pour contrer ces facteurs de risque et promouvoir ces facteurs de protections relèvent de l’ensemble des citoyens et non pas seulement des intervenants en santé mentale. La lutte contre les inégalités sociales, l’exclusion et la stigmatisation des plus vulnérables, le développement du capital social et du soutien social nécessitent des actions de tous – politiciens, économistes, administrateurs, éducateurs, intervenants en santé et du secteur social, groupes communautaires – et surtout de tous les citoyens dans leurs relations sociales quotidiennes et qui j’espère, un jour, choisiront d’élire des gouvernements plus à l’écoute des besoins de leurs concitoyens que de faire le jeu des entreprises multinationales qui dictent leur conduite pour la préservation des intérêts d’une minorité qui se croit toute-puissante.
En conclusion, la santé mentale est un vaste projet collectif, et avant tout un projet citoyen, en vue de retrouver un principe fondateur des sociétés démocratiques « Liberté, Égalité, Fraternité » !
Ce numéro se termine par une mosaïque de trois articles. Le premier de Nathalie Poirier et Jacinthe Vallée-Ouimet nous permet une compréhension de l’expérience des parents d’enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme, leurs inquiétudes et leurs émotions, de même que leurs expériences avec le réseau de services. Il se termine par une réflexion sur ce qui pourrait contribuer à améliorer les services et le soutien à ces parents. Le second, de Dominique Michaud, Catherine Briand, Véronique Thibault et Karine Charbonneau, porte sur l’expérience d’un site Web pour soutenir le réseautage en santé mentale. Dans cet article, les auteures présentent une démarche évaluative portant sur la satisfaction de ses membres d’une communauté de pratique envers deux activités de leur site Web. Enfin, Pauline Maillard, dans son article, vise la clarification de la notion d’autocritique, sa distinction avec d’autres concepts associés, ses liens avec la psychopathologie, et termine par la présentation de différentes formes d’interventions thérapeutiques visant à la réduire.

Bonne lecture.

Bibliographie

Basaglia, F. (1970). L’Institution en négation, Paris : Éditions du Seuil.
Bonnafé, L. (1981). Psychiatrie populaire, par qui ? Pour quoi ?, Paris : Éditions du Scarabée.
Caron, J et Liu, A. (2010). A Descriptive Study on the Prevalence of Psychological Distress and Mental Disorders in the Canadian Population : Comparison between Low-income and Non Low-income Populations. Chronic Diseases in Canada, 30(3) 87-98.
Caron, J., Latimer, E., Tousignant, M. (2007). Predictors of psychological distress in low income populations of Montreal. Canadian Journal of Public Health, 98, 35-44.
Castel, R. (1973). Le psychanalysme : l’ordre psychanalytique et le pouvoir, Paris : Éditions Maspero.
Cooper, D. (1970). Psychiatrie et antipsychiatrie, Paris : Éditions du Seuil.
Foucault, M. (1972). Histoire de la folie à l’âge classique, Paris : Gallimard.
Laing, R. (1972). La Politique de la famille, Paris : Éditions Stock.
Ouri, J., Guatari, F., Tosquelles, F. (1985). Pratique de l’institutionnel et politique. Vigneux : Éditions Matrice.
Szasz, T. (1975) Le Mythe de la maladie mentale, Paris : Éditions Payot.

Auteur : Jean Caron
Titre : Citoyens partenaires pour la santé mentale
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 40, numéro 1, printemps 2015, p. 7-10

URI : http://id.erudit.org/iderudit/1032378ar
DOI : 10.7202/1032378ar

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