Épilogue
André Luyet
Chef du Département de psychiatrie (1998-2002, 2005-2013)
Quelles leçons tirer des transformations successives vécues par cette grande institution fondée sous le nom d’Asile (Hospice) Saint-Jean-de-Dieu au cours de sa riche histoire pour continuer d’innover, garder sa pertinence et demeurer un acteur de premier plan en santé mentale, un domaine complexe en quête d’avancées réelles dans la compréhension, le traitement des troubles mentaux et la réadaptation comme principaux leviers pour contrer la stigmatisation ?
L’expertise développée et détenue par les intervenants de cet établissement aujourd’hui nommé Institut universitaire en santé mentale de Montréal ne doit pas se perdre. Elle doit être mise à profit dans les grands chantiers en cours (fusion d’établissements avec la création des CIUSSS) et dans ceux qui se profilent à l’horizon. Parmi ces derniers, on retient notamment :
- la révision du partage des actes professionnels entre les différentes professions agissant en santé mentale (13 professions relevant d’un ordre professionnel, régi par le Code des professions) ;
- l’interdisciplinarité visant l’intégration des services ;
- l’arrivée des infirmières praticiennes spécialisées (IPS) en première ligne et santé mentale ;
- le partenariat patient et la contribution de chaque intervenant ;
- l’apport essentiel des organismes communautaires et ressources du milieu afin d’éviter un morcellement délétère ;
- la fin de la mission asilaire de l’hôpital psychiatrique remplacée par l’accompagnement professionnel offert en ambulatoire avec des hospitalisations brèves lors de grandes désorganisations ou en présence de dangerosité.
Le traitement, la réadaptation (pouvoir d’agir) et la réhabilitation (respect des droits et jouissance de la pleine citoyenneté) doivent faire alliance avec le milieu naturel et les forces individuelles de chaque personne.
Cette triade traitement-réadaptation-réhabilitation doit se déployer avec l’environnement et la communauté, évitant ainsi le fonctionnement en vase clos, les processus de rupture, de stigmatisation, d’exclusion sociale et de désinsertion pour permettre l’investissement dans des projets de vie mobilisateurs, d’étude et/ou de travail.
La réadaptation peut difficilement s’opérer par l’hospitalisation prolongée et au sein de l’hôpital comme une bulle protectrice, mais encore trop souvent coupé du monde extérieur. La réadaptation doit permettre l’espoir et respecter le rythme propre à l’individu.
La recherche axée sur l’humain est essentielle pour repousser les limites de la connaissance, générer le savoir et sa diffusion par l’enseignement et le développement professionnel continu de la découverte jusqu’à l’application clinique.
Il faut miser sur un maillage plus étroit entre recherche et clinique pour profiter d’une fécondation réciproque de ces deux univers.
Ainsi, il convient de promouvoir le développement de services spécifiques selon les meilleures pratiques reconnues comme efficaces qui intègrent rapidement les avancées et percées issues de la recherche venant enrichir les programmations cliniques spécifiques destinées aux personnes ayant des troubles de santé mentale apparentés ou des caractéristiques communes (p. ex. le facteur âge en gérontopsychiatrie). Les programmations cliniques continuant ainsi à évoluer à la faveur d’une mise à jour continue.
Malgré les critères formulés aujourd’hui à l’endroit des hôpitaux psychiatriques, ceux-ci ont longtemps servi également de rempart protégeant de l’érosion des ressources allouées à la santé mentale au profit des autres services de santé aux prises avec un débalancement perpétuel entre la volumétrie des besoins comblés et l’offre de soins et services limitée par les contraintes financières. L’IUSMM devra être vigilant et en mesure de démontrer en tout temps la pertinence de ses services, son efficience et sa rigueur dans l’utilisation des ressources humaines, financières et matérielles allouées.
Voilà ce que l’épopée de 150 ans d’une institution dynamique peut nous enseigner pour faire face aux défis contemporains et à ceux que nous réservera l’avenir, du moins jusqu’au tricentenaire !
Auteur : André Luyet
Titre : Épilogue
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 49, numéro 2, automne 2024, p. 333-334
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1114418ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1114418ar