Former à la transdisciplinarité en santé pour que les champs disciplinaires se fusionnent afin de se saisir d’objets de recherche holistiques et complexes dits intersectoriels

Johana Monthuy-Blanc
Université du Québec à Trois-Rivières
Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal
Marie-Josée St-Pierre
Université du Québec à Trois-Rivières
Audrey Groleau
Université du Québec à Trois-Rivières
Liette St-Pierre
Université du Québec à Trois-Rivières
Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Lors de la 29e Journée annuelle de la recherche du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (CRIUSMM) portant sur la découverte et l’innovation, le scientifique en chef du Québec Rémi Quirion a présenté la conférence d’ouverture. Johana Monthuy-Blanc, la responsable de l’axe Recherche sur la santé des populations du CRIUSMM, lui a posé la question suivante :
« À l’image de vos propos sur l’importance de rêver en recherche, quel serait votre plus grand rêve en tant que scientifique en chef du Québec ? »

Rémy Quirion a répondu – en nos mots et en résumé – qu’il importe d’optimiser l’intersectorialité en permettant aux personnes chercheuses des divers secteurs de se fédérer et de « donner du temps au temps » afin de trouver une langue commune. Rémi Quirion vient d’illustrer la transdisciplinarité avec ses forces et ses défis.

Ses propos rejoignent les travaux de l’unité de recherche-intervention Loricorps, qui œuvre depuis plus de 10 ans en examinant l’acte de s’alimenter sous l’angle des attitudes et comportements alimentaires. Cet objet de recherche si complexe et holistique est, par nature, intersectoriel. En effet, il couvre à la fois les sciences humaines et sociales ainsi que la santé physique et mentale. Plus encore, pour l’aborder dans toute sa complexité, des outils, méthodes et démarches des sciences naturelles et du génie sont devenus incontournables. L’intersectorialité est souvent pensée comme un maillage entre les « grands » secteurs de recherche. Cela dit, le Loricorps la conçoit également comme une synergie de l’université avec des organismes communautaires et des entreprises privées. Plus encore, l’approche privilégiée de recherche-intervention en transdisciplinarité exige que la personne usagère soit intégrée à l’équipe et que ses capacités soient valorisées.

Tout le défi, qui distingue d’ailleurs la transdisciplinarité de la multi ou l’interdisciplinarité, est de s’inscrire dans un processus d’intégration des disciplines pour transcender lesdites disciplines issues de l’intersectorialité (Choi et Pak, 2006). Pour relever ce défi et bénéficier des forces de la transdisciplinarité, il convient de miser sur une dynamique relationnelle à la posture et au cadre conceptuel uniques et coconstruits par l’ensemble des personnes qui sont membres de l’équipe, incluant la personne usagère (St-Pierre et coll., 2022). Ainsi, la formation de l’équipe incluant tout ce qui encadre ses décisions, réflexions et discussions faites, se bâtit graduellement ; ce qui constitue une des forces de la transdisciplinarité.

Les écrits scientifiques font état de plusieurs défis relatifs à la transdisciplinarité, comme l’éthique d’ouverture et de respect, la flexibilité cognitive et émotionnelle, la confiance et l’engagement mutuel, la congruence des valeurs et des objectifs, un langage et but commun dans un espace-temps sécuritaire de partage de responsabilités et de dialogue, la stabilité entre l’intégration et la spécificité disciplinaire et enfin, et non des moindres, un leadership fédérateur à la fois transversal et transformatif (Barrett et coll., 2019 ; Klein, 2008). Un constat apparaît : tous ces défis relèvent de l’équipe (Monthuy-Blanc et coll., 2022), et plus précisément des savoirs qui doivent être déployés par ses membres : le savoir-théorique (soit la capacité à comprendre des informations pour acquérir des connaissances fondamentales assimilées et intégrées dans un cadre de référence), le savoir-faire (la capacité d’agir), le savoir-être (la capacité à se situer) et le savoir-expérientiel (la capacité à acquérir des connaissances issues de l’expérience) et, enfin, le savoir-devenir (la capacité à se projeter) (Mialaret et coll., 2011). Ce dernier savoir, moins courant en recherche, qui conçoit « ici et maintenant une représentation de son futur […] par l’imagination et l’ouverture aux opportunités […] ; et ce, en tentant d’infléchir le cours des choses et en cherchant du sens dans son futur », est essentiel pour conduire à l’innovation (Lebrun et coll., 2011). Le savoir-devenir en équipe est également un élément majeur qui démontre l’ouverture d’esprit que chaque membre accepte de partager avec les autres en ayant comme visée le bien-être de l’usager partenaire ; faisant partie intégrante des décisions de cette nouvelle équipe de travail (Groleau et coll., accepté avec révision).

En conclusion, face à une recherche pressée par le temps, trop souvent en silo et à la reconnaissance individuelle, Remi Quirion a raison : l’innovation en recherche intersectorielle implique de se donner du temps pour réfléchir et se parler dans un langage commun. Mais plus encore, l’expérience du Loricorps rappelle la nécessité d’une équipe qui sait, sait faire, sait être et sait devenir autant individuellement que collectivement. Alors, la recherche de demain sera celle qui valorisera des compétences transdisciplinaires, reverra ses formations à cet égard, tiendra compte de tous les savoirs à tous les niveaux pour nous donner le temps de devenir des personnes et des équipes transdisciplinaires.

Auteurs : Johana Monthuy-Blanc, Marie-Josée St-Pierre, Audrey Groleau et Liette St-Pierre
Titre : Former à la transdisciplinarité en santé pour que les champs disciplinaires se fusionnent afin de se saisir d’objets de recherche holistiques et complexes dits intersectoriels
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 49, numéro 2, automne 2024, p. 335-338

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1114419ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1114419ar