Le Virage

Mylène Wilhelmy
Résidente II

Résumé | Extrait

À l’urgence psychiatrique, tous les jours entrent et sortent des gens qui parlent trop fort, trop vite, qui se rebaptisent chanteurs célèbres ou qui combattent des démons invisibles. Tous les jours, on côtoie la maladie sous toutes ses formes. On la reconnaît dans un ensemble de symptômes qui évoquent pour nous un diagnostic. On questionne des patients, on temporise des crises. On perçoit la souffrance même quand elle se déguise. Ultimement, on veut aider. Et on sait un peu comment s’y prendre. On a un plan, on suit des étapes. Même si le parcours n’est pas le même pour chacun, on entrevoit un peu la suite. C’est notre travail, notre quotidien. En naviguant dans la turbulence, on s’habitue à manier la barre. Mais sur le bateau en détresse, il y a aussi le reste de l’équipage. Des proches, ceux qui sont là depuis le début, témoins impuissants de la tempête qu’ils n’ont pas vue venir et dont on sous-estime trop souvent l’impact sur eux.
Nos patients nous arrivent les bagages pleins de leurs expériences, riches de leur vie bien entamée. Ils sont des pères, des mères, des frères, des enfants, des amis, des gens qui comptent pour d’autres. Parce qu’il y a bien un « avant » la maladie. Avant l’hôpital, avant nous. Mais cette partie de leur histoire, nous ne l’avons pas connue. Nous ne vivons pas le changement, la transition. Seuls les proches traversent cette étape, en saisissent toutes les subtilités et l’ampleur des pertes. Ils cheminent dans l’incompréhension, sans savoir où la route les mènera, ni même si le brouillard, un jour, se lèvera.

Mon récit, basé sur des faits vécus, témoigne du parcours d’un fils et de sa mère, avant, pendant et après le virage fatidique.

La vie a tendance à se dérouler sous nos yeux comme un flot continu, sans début ni fin, sans pause ni recul. Mais je me souviendrai toujours d’un moment, sans doute très bref, vers mes huit ou neuf ans, où j’ai senti que ma vie devenait une photo. Je vivais un moment qui deviendrait un souvenir, et comme de fait, je ne l’ai jamais oublié. Un moment de pur bonheur…

Auteur : Mylène Wilhelmy
Titre : Le Virage
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 39, numéro 2, automne 2014, p. 271-282

URI : http://id.erudit.org/iderudit/1027843ar
DOI : 10.7202/1027843ar

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