Saint-Jean-de-Dieu : une brève histoire de ce haut lieu de la folie, 1873-1973
Isabelle Perreault
Université d’Ottawa
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Résumé
Objectifs Cet article a pour objectif premier de dresser un portrait institutionnel de l’Asile Saint-Jean-de-Dieu au cours de ses cent premières années d’existence, soit de 1873 à 1973. Les objectifs secondaires sont les suivants : 1) les politiques de prévention de la fin du 19e siècle ont eu pour effet d’augmenter la population asilaire au lieu de la diminuer ; 2) les politiques d’hygiène mentale chercheront à « traiter le social » à l’extérieur des murs de l’asile ; 3) c’est l’arrivée de la psychopharmacopée qui permettra d’ouvrir les portes de l’asile et d’en faire un hôpital psychiatrique moderne, renommé peu après Louis-Hippolyte-Lafontaine.
Méthode Le passé est plus silencieux que bruyant et trouver des données qui nous permettent de reconstruire une histoire de Saint-Jean-de-Dieu est un défi. Notre collecte de données comprend toutes les sources primaires que nous avons pu récolter (archives de l’IUSMM, rapports annuels du gouvernement sur les asiles et articles de la revue L’Union médicale du Canada) de même que les sources secondaires produites au fil du temps, soit des ouvrages et articles publiés sur l’histoire de Saint-Jean-de-Dieu. L’analyse qualitative de ces données est basée sur l’induction analytique (Pascale, 2012). Après plusieurs lectures des documents, le contenu est associé à des concepts clés suivant la saturation théorique (Laperrière, 1997) et l’analyse des données s’effectue ainsi selon les concepts clés les plus significatifs. Dans le corpus qui est le nôtre, le concept clé de surpopulation asilaire a été central dans l’élaboration de notre interprétation.
Résultats Cet article met en lumière l’impossible mission première de guérison des troubles mentaux à l’Asile Saint-Jean-de-Dieu. En cette fin du 19e siècle, alors que la paupérisation urbaine est de plus en plus marquée, les théories médicales prônent des politiques d’internement hâtif. Malgré plusieurs lois provinciales qui réitèrent que les malades chroniques ne peuvent être admis que s’ils sont dangereux, scandaleux ou monstrueux, la population admise augmente de plus en plus jusqu’à la fin des années 1940. En parallèle, le ratio patient(e)/psychiatre est au mieux de 300 pour 1. La mise sur pied d’un département de psychiatrie francophone et de stages obligatoires au cours de l’entre-deux-guerres fera en sorte que plus de médecins seront formés pour y travailler. Mais c’est la découverte des neuroleptiques qui permettra à une nouvelle génération de psychiatres d’ouvrir les portes de l’Institution dans les années 1960. L’ère des asiles prend ainsi fin dans la forme qu’on lui connaissait depuis un peu plus de 100 ans.
Conclusion L’asile perdra rapidement son sens premier, celui d’un lieu où l’on trouve refuge, pour être associé progressivement à une mise à l’écart de personnes folles augmentant par là même les préjugés et tabous au sujet des troubles mentaux dont nous sommes toujours, en partie, tributaires.
Mots-clés : Saint-Jean-de-Dieu, asile, psychiatrie, chronicité, histoire, internement, Québec
Abstract
Objectives The primary objective of this article is to paint an institutional portrait of the Saint-Jean-de-Dieu Asylum over the first hundred years of its existence, from 1873 to 1973. The secondary objectives are as follows: 1) explore how prevention policies at the end of the 19th century had the effect of increasing the asylum population rather than reducing it; 2) discuss mental health policies that sought to “treat the social” outside the walls of the asylum in an effort to decrease the population; and 3) address the arrival of psychopharmacology that opened the doors of the asylum and turned it into a modern psychiatric hospital, soon renamed Louis-Hippolyte-Lafontaine.
Method Since the past exists in silence, and finding data that will enable us to reconstruct a history of Saint-Jean-de-Dieu is a challenge. Our data collection includes all the primary sources we were able to gather (Institut universitaire en santé mentale de Montréal archives, annual government reports on asylums and articles in the magazine L’Union médicale du Canada) as well as secondary sources produced over time, i.e., books and articles published on the history of Saint-Jean-de-Dieu. The qualitative analysis of this data is based on analytical induction (Pascale, 2012). After several readings of the documents, the content is associated with key concepts according to theoretical saturation (Laperrière, 1997) and the data is analyzed according to the most significant key concepts. In our corpus, the key concept of overcrowding in asylums was central to our interpretation.
Results This article highlights the improbable primary mission of curing mental disorders at the Saint-Jean-de-Dieu asylum. At the end of the 19th century, as urban impoverishment became increasingly marked, medical theories advocated policies of hasty internment. Despite several provincial laws reiterating that the chronically ill could only be admitted if they were “dangerous, scandalous or monstrous,” the population admitted grew steadily until the end of the 1940s. At the same time, the patient/psychiatrist ratio was at best 300 to 1. The creation of a French-speaking psychiatry department and compulsory internships between the World Wars meant that more doctors were trained to work there. But it was the discovery of neuroleptics that enabled a new generation of psychiatrists to open the doors of the institution in the 1960s. The era of the asylum thus came to an end in the form it had taken for just over 100 years.
Conclusion The asylum quickly lost its original meaning, that of a place of refuge, and gradually became associated with the seclusion of the insane, thereby increasing the prejudices and taboos surrounding mental disorders, some of which still affect us today.
Keywords: Saint-Jean-de-Dieu, asylum, psychiatry, chronicity, history, commitment, Quebec
Auteur : Isabelle Perreault
Titre : Saint-Jean-de-Dieu : une brève histoire de ce haut lieu de la folie, 1873-1973
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 49, numéro 2, automne 2024, p. 23-43
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1114402ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1114402ar