S’autoriser le droit d’être soi-même, c’est dire « Oui je le veux » au bonheur

Geneviève Boyer

Résumé/Extrait

Cette journée-là, un vent, chaud et humide, survoltait tout mon corps, tout mon visage, pendant que le soleil s’amusait à réchauffer le sable. Candide comme il se doit, l’océan, pour sa part, de son côté, de sa rive, s’imposait par sa puissance, sa beauté, ses mystères impénétrables. J’étais presque rendue au bout de la route, à l’extrême sud des États-Unis, en direction de Key West, dernier archipel des Keys, quasiment à 200 kilomètres de La Havane. Mon âme était légère, loin des préoccupations, loin de mon agenda toujours trop garni et de mon quotidien peu routinier. Mon coeur souriait en écoutant jouer la chanson « Don’t Stop Believin’ » dans la voiture en roulant sur le Seven Miles Bridge lorsque soudain, ma partenaire de vie, avec une seule petite question, ramena mon esprit dans l’instant présent.

Ma partenaire de vie affichait un sourire flamboyant, un regard fébrile, et c’est avec prestance et assurance qu’elle prononça les mots suivants, des mots simples : « Mon amour, accepterais-tu de m’épouser ? » Tout avait été planifié : le pont, l’odeur de la mer, ainsi que bien sûr cette chanson qui fait partie des vestiges immortels des premiers moments de notre passionnée rencontre. Puis, sans réfléchir un seul instant, les larmes aux yeux à cause d’un si grand bonheur, ma réponse fut immédiate : « Oui, je le veux » C’est en partie ainsi qu’il y a deux ans, nous décidâmes d’un commun accord d’unir officiellement nos destinées par l’institution du mariage

Ce n’est qu’un an plus tard que nous avons finalement retenu une date officielle pour l’été suivant et que nous avons entrepris la concrétisation de ce grand évènement. Combien de fois, petite fille, j’avais rêvé de cette journée ? La cérémonie, les chansons, le gâteau, les invités, les voeux, les échanges d’anneaux, et surtout les échanges de baisers. Je m’imaginais fièrement au bras de mon père, remontant l’allée de l’église jusqu’à l’être aimé. Combien de fois je m’étais imaginée en compagnie de ma mère pour planifier cette journée ? Fabriquer les centres de table, choisir ma robe, discuter de la liste des invités et papoter durant des mois et des mois de mille et un petits détails qui rendraient cette journée inoubliable. Bref, un rêve banal qui habite le coeur de bien des jeunes femmes et qui semble si normal dans la suite logique des grands évènements d’une vie. Pourtant, plus les jours avancent et plus ce rêve de jeune fille me fait angoisser

L’endroit choisi pour la cérémonie est féerique, directement sur le bord de l’eau. Le site de la réception est à la fois pittoresque et raffiné, comme dans mes rêves les plus fous. Toutefois, je dors de moins en moins et je suis de plus en plus tourmentée. J’ai peur. J’ai peur du regard des autres sur mon orientation sexuelle, mais je crains particulièrement les réactions homophobes de ma famille immédiate dues à leurs croyances religieuses. J’organise mon emploi du temps pour éviter d’y penser. À mon travail exemplaire et très prenant, j’ajoute trois cours universitaires en droit, trois heures par semaine de bénévolat à l’université, sans parler des séances hebdomadaires de hockey que je me tape deux saisons par année. Je ne veux pas penser, je ne veux pas laisser jaillir ce volcan d’anxiété qui m’habite. Mais au bout d’un certain temps, malgré toutes ces occupations, l’anxiété reprend le contrôle de mon esprit. Parfois, c’est la nuit que tout surgit ; je fais alors des cauchemars et j’arrive à peine à dormir quelques heures.

Auteur : Geneviève Boyer
Titre : S’autoriser le droit d’être soi-même, c’est dire « Oui je le veux » au bonheur
Revue : Santé mentale au Québec, Volume 40, numéro 3, automne 2015, p. 269-275

URI : http://id.erudit.org/iderudit/1034922ar
DOI : 10.7202/1034922ar

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